C’est après une petite assiette Franc Comtoise – pommes de terres/saucisses de Morteau/Cancoillotte (à l’ail)/salade (quand même) – que vous vint l’inspiration. Il était temps de parler sport. On passerait bien évidemment sous silence l’épisode du goûter : thé (sans sucre) avec assiette gourmande (mousse fruits de la passion/tarte normande/tarte aux fruits/pasteis de nata/tarte choco noisette), entourée de vos copines, aussi peu raisonnables que vous. Oui, décidément : il était temps de parler sport.
Bientôt devenue sosie officiel du bonhomme Michelin, vous vous dites, il y a trois mois, qu’il fallait faire quelque chose. Aussi avez vous agi. Vous avez repris la danse. Avec vos copines. Nan, parce qu’à un moment donné, souffrir, ok, mais souffrir seule, pas question.
Oui, la danse est un bonheur, mais, n’en déplaise à Karine – votre gentille et jolie et douée et patiente sainte prof -, lorsqu’il s’agit de vous contorsionner dans tous les sens, les abdos et les fessiers piquent un peu. Piquent beaucoup, en fait.
Karine vous enjoint d’être gracieuse, vous ne parvenez qu’à être grasseuse. C’en est désespérant.
Elle tente de vous faire tournicoter des hanches, vous tournicotez du bourrelet. Oui, le pneu situé au niveau de votre ventre. Celui là même. Cette petite bouée qui vous permet de flotter l’été dans l’eau, et de vous tenir chaud l’hiver. L’été aussi, me direz vous. Bref.
Vous vous demandez encore comment vous avez pu avoir une telle idée : vous mettre à la danse. Non pas que vous ne connaissiez pas le sujet, non. Vous avez des années de pratique derrière vous. Première position, porté de bras, rond de jambe, saut de chat, arabesque, pointe et demi-pointe. Et un jour, à l’adolescence, vous avez décidé que vous en aviez marre. Le jour où Colette vous colla un coup de bâton sur les gambettes, vous avez dit stop. Vous passeriez vos mardis soirs ailleurs que dans vos chaussons. De danse, s’entend.
Reprendre la danse. Cette folle idée germa en votre cerveau retord il y a un an. La discipline laissait en vous un petit goût doux-amer… Vous vous rappelez encore la passion qui vous habitait petite : vous regardiez l’album de « Martine, petit rat de l’opéra », et vous rêviez de tutus roses. Ceux avec du tulle tout raide autour de la taille. Mais vos parents vous avaient pondue grande et charpentée. Un physique d’agricultrice plutôt que de petit rat. Et cette douce et charmante Colette, votre prof de l’époque, alors que vous lui aviez confié votre rêve de devenir petit rat, au lieu d’encourager vos ardeurs qui auraient pu – au pire – vous conduire comme danseuse de revue, au mieux sur le plateau de « danse avec les stars » (oui, vous ne manquez pas d’ambition), stoppa tout net votre enthousiasme et vous brisa un peu les ailes. Autant dire que le jour où elle s’arma d’un bâton, il vous fut difficile de voir l’intérêt de la chose et de puiser en vous la motivation… Vous avez poursuivi quelques années la danse, pour finalement vous demander : à quoi bon ? Vous ne seriez jamais bonne à rien, le tutu n’était pas fait pour vous. Bien plus tard, vous avez choisi des études adaptées à votre physique et êtes devenue ingénieur agricole. Mais ceci est une autre histoire. Les études, ce sera pour le tome 2 de cette passionnante épopée qu’est votre vie.
Et puis l’an dernier, vos filles ayant atteint l’âge de supporter quelques coups de baguette sur les jambes, et ayant – du moins plus que vous – un physique à potentiel pour devenir petit rat de l’opéra, vous vous êtes dit qu’elle pourraient suivre les dignes traces de leur mère (voire même aller plus loin, ce qui n’était pas bien difficile) : vous les avez inscrites au cours de danse classique. En vrai, vous ne vous êtes pas dit ça. Mères parfaites, ne soyez pas choquées : vos filles, sans même avoir vu Ballerina, vous réclamaient à corps et à cris des cours de danse. Devenir Petit Rat témoignait d’un grand manque d’ambition à leurs yeux. Etoile était le minimum.
Karine entra donc dans votre vie. Direct, elle vous mit au parfum. Chignon de rigueur, et tenue imposée. Point de tutu « reine des neiges » possible. Ne pas arriver trop tôt. Ne pas courir partout. De la rigueur et de la discipline. Vous redoutiez le jour où vos filles goûteraient au bâton. Mais ce jour ne vint jamais. Bien au contraire. Au fil du temps, vos filles apprivoisèrent la danse, apprivoisèrent Karine, et inversement. Chaque soir, elles réclamaient le cours de danse. Chaque soir, vous décomptiez les jours. Même malades, les filles voulaient danser. Lapinette vous préparait de jolis spectacles dans le salon, et vous la trouviez gracieuses. Sa petite soeur était plus gauche, moins assurée, mais peut être encore plus passionnée…
Et petit à petit, voyant le bonheur de vos filles, et la gentillesse de Karine, l’idée folle de recommencer la danse s’immisça en vous. Bon, il est vrai, vous n’assumiez pas tout à fait l’idée de vous retrouver avec des danseuses averties autour de vous, aussi avez vous embauché vos copines. Et c’est ainsi que commença l’aventure le samedi matin : cours des petites à 09h30 et première tournée des bars pour les mamans et les grands. Cours des grands à 10h30 et deuxièmes tournée des bars pour les mamans et les petites. Papas au garde à vous à 11h30 pour récupérer la marmaille, et cours des mamans à 11h30. Une organisation maintenant bien rôdée.
Mais des bourrelets toujours là.
Tant pis, vous dansez sexy malgré tout. En string, même. Fut un temps où vos maris se faisaient des idées. Jusqu’au jour où ils découvrirent que le string n’était qu’un string de pieds. Danse contemporaine oblige. Bon, ok, vous avez eu du mal à vous faire à la discipline. Imiter le chewing gum fut l’une des expériences les plus déstabilisantes de votre vie. C’était ce matin. Ceci explique peut être votre craquage sur l’assiette Franc-Comtoise : il fallait vous en remettre. Clairement, vous vous demandez encore parfois si c’est la danse contemporaine qui n’est pas faite pour vous, ou si c’est vous qui n’êtes pas faites pour danse contemporaine, mais bon… En même temps, devenir petit rat de l’opéra paraissait hors de votre portée, que, flasque comme vous êtes, vous mettre dans la peau d’un chewing gum parait tout à fait dans vos cordes. Aussi avez vous décidé de vous accrocher. D’autant que la première partie du cours consiste à faire de la barre au sol. C’est comme faire de la barre à la verticale, mais à l’horizontale et sans barre. Logique. Ca non plus, vous n’avez pas tout à fait compris, mais au moins, vous rencontrez nettement moins de problème de choré, et – bien que ça ne change rien à l’apparence de votre ventre flasque et mou – dans la mesure où vous rentrez fourbue et pleine de courbatures, vous avez l’impression de vous façonner peu à peu un corps de déesse. Un peu à la « Pamela Anderson » lorsqu’elle court sur la plage, sauf que ce qui fait « flop, flop », ce ne sont pas vos gros nénés, ce sont vos bourrelets. Mais ce n’est qu’un détail mineur. Grâce à la danse, vous avez acquis cette certitude que : « est déesse celle qui se sent déesse ». Surtout si elle porte des strings de pieds. Bref, grâce à Karine, vous êtes devenue une déesse pleine de grâce grasse. Enfin à peu près.
En tout cas, la tournée des bars, c’est sympa, et à la danse, vous maîtrisez grave le chewing gum. C’est plutôt pas mal. Vous sentez que cette fois, vous avez de l’avenir.